CHAPITRE IX
Corran fronça les sourcils.
— Je ne crois pas que le commandant m’ait fait de cadeau, monsieur.
— Pardonnez-moi, Horn. Ce n’est pas ce que je voulais dire. D’après votre dossier, vous étiez un solitaire avant d’intégrer l’Escadron Rogue. Il n’est pas facile de s’adapter au travail en équipe.
— Je peux combattre en groupe, mais je ne fais confiance à personne quand les choses tournent au vinaigre. Cela m’a permis de rester en vie dans les moments difficiles. J’ai du mal à renoncer à cette attitude.
Tycho s’engagea dans le passage menant à la base de Folor. Corran le suivit.
— L’ennui, c’est que cela éloigne les autres de vous. Il leur est plus difficile de vous aider en cas de besoin. Et ils ignorent si vous serez prêt à les secourir le moment venu.
— Je ne laisserais jamais un copain dans les ennuis !
— Je n’en doute pas. Mais vous avez votre propre définition de ce mot. Les hommes de cet escadron ne se perçoivent peut-être pas comme vos amis. Il vous a été difficile de vous adapter, c’est évident.
Je me suis intégré aussi bien que les autres !
— Pourquoi pensez-vous ça, capitaine ?
— Vous faisiez partie de la Sécurité Corellienne. Vous pourchassiez les Rebelles qui sont maintenant vos alliés. Ce type de transition n’est pas aisé.
— On peut dire la même chose à votre sujet, monsieur. Vous étiez un pilote de l’Empire.
Tycho ne répondit pas aussitôt.
— Ma situation était très différente de la vôtre. L’époque et les circonstances n’ont rien à voir.
La sincérité de Tycho ébranla Corran. Il ne se sentit pas le droit d’aller plus loin.
— Vous avez sans doute raison, monsieur. J’étais à l’Académie Impériale au moment de l’émission des avis de recherche concernant Yan Solo et Chewbacca. Ils étaient accusés du meurtre du Grand Moff Tarkin. Aucune mention de l’Étoile Noire, bien entendu ! Si j’avais déjà été dans la CorSec, je me serais lancé aux trousses de Yan Solo. À mon avis, il était une tache sur l’honneur de Corellia…
— Et vous pensez toujours la même chose…
Corran frémit.
— Il s’est livré à la contrebande d’épices pour le compte d’un Hutt. Je sais qu’il a fait plus tard des choix qui ont bouleversé sa vie. Mais il est tout de même tombé bien bas à un moment…
— Quand votre vie s’est écroulée, vous n’êtes pas tombé aussi bas. Donc il n’aurait pas dû le faire ?
— C’est un peu ça, oui… Le défendez-vous parce que c’est un ancien Impérial, comme vous ?
Tycho sourit.
— Je pense que Solo avait oublié que l’honneur existait hors de son allégeance à l’Empire. Une erreur qu’il a rectifiée.
— Et qui lui a valu l’honneur, la gloire et la main de la princesse Organa.
— Certes. Mais il sait désormais que l’honneur existe dans l’individu et rayonne à l’extérieur. Ce qui se passe dehors ne change rien. Trop de gens l’oublient. (Tycho secoua la tête.) Pardonnez-moi ce sermon. J’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir à tout ça !
Deux officiers de la Sécurité s’approchèrent de Tycho et de Corran.
Capitaine, êtes-vous prêt à retourner dans vos quartiers ? demanda le lieutenant, une jeune femme à la voix calme.
Le capitaine sembla soudain plus petit et plus vieux.
— Oui. Merci pour cet entretien, monsieur Horn.
— Je vous en prie.
Tycho fit un signe à la femme.
— Après vous…
— Non, capitaine. Après vous !
Le ton de sa voix choqua Corran. De toute évidence, elle venait de donner un ordre à Celchu.
Pourquoi l’obligerait-on à regagner ses quartiers ? Elle le traite comme un criminel.
Il les regarda partir, perplexe. Tycho était-il protégé contre une quelque menace ?
Corran réalisa qu’il essayait de trouver de bonnes raisons alors qu’il y en avait une évidente : Tycho était un danger pour l’Alliance. Cela lui parut absurde. S’il était dangereux, pourquoi aurait-il été autorisé à former les pilotes ?
Il est vrai qu’on lui a affecté un simple Chasseur de Têtes…
— Te voilà enfin ! Je me demandais où tu étais.
Corran se retourna. Il n’y avait personne d’autre que lui et la femme aux longues jambes qui le regardait.
— C’est à moi que tu parles, Erisi ?
— On m’a envoyé te chercher. Nous sommes tous au Bon Repos, histoire d’analyser ce qui s’est passé pendant l’exercice.
— Merci, mais je préfère m’abstenir pour cette fois !
— Non. Nous voulons que tu viennes. Pour te présenter nos excuses.
Corran sursauta. Elle avait l’air sincère. Mais elle était de Thyferra et fréquentait beaucoup Bror Jace. Il se demanda si elle se moquait de lui.
— Je ne serais pas de très bonne compagnie, dit-il.
— Tu dois venir ! Le commandant nous a informés que l’exercice consistait à utiliser tes données. Ensuite, il nous a ordonné de ne rien te dire, à part nos scores. Nous nous sentons un peu honteux et nous aimerions nous faire pardonner.
Il la suivit.
— Comment se fait-il que tu aies écopé de la corvée de venir me chercher ? Tu as tiré la paille la plus courte ?
Erisi sourit. On ne voyait que ses yeux dans son visage délicat.
— Je me suis portée volontaire. Nawara Ven et Rhysati ont entrepris de raisonner Bror. Il fallait que je parte !
— Abandonnant un compatriote entre les griffes d’un avocat Twi’lek ?
Elle éclata de rire.
— Bror Jace vient d’une famille qui possède une importante quantité d’actions de Zeltin. Ses membres sont connus pour être arrogants et difficiles.
— Je n’avais pas remarqué.
— Je t’aurais cru plus observateur. En plus, Bror t’a repéré. Il te considère comme son seul concurrent direct au sein de l’escadron.
— Il oublie le commandant et le capitaine Celchu.
— Non, il se contente de les ignorer. Comme l’a dit le commandant Antilles, les hommes qui ont servi jadis dans l’Escadron Rogue sont des légendes. Bror pense impossible de dépasser une légende. À moins d’en devenir une soi-même.
— Erisi, j’apprécie ta franchise. Pourtant je ne m’attendais pas à ce que tu parles d’un ami en termes si défavorables.
— Qui t’a donné l’impression que nous étions amis ?
— Que tu passes beaucoup de temps avec lui, par exemple…
— Sans blagues ? gloussa Erisi. Je ne pourrais jamais être amie avec un homme élevé dans la culture d’entreprise Zeltin. Ma famille est associée avec Xucphra, le leader de la production et du raffinage du bacta. Mon oncle est le technicien qui a découvert le contaminant introduit par les Ashern dans le Lot ZX1449F.
— Vraiment ?
La jeune femme le regarda, soupçonneuse, puis sourit et lui tapota amicalement l’épaule.
— Je sais que la politique d’entreprise thyferrienne est ennuyeuse, mais elle représente tout pour mon peuple. Malgré les quelques milliers de Vratix qui font pousser de l’alazhi et qui raffinent le bacta, ce sont les humains à la tête des corporations qui mettent le bacta à la disposition de la galaxie. Étant une petite communauté, plutôt riche il faut l’avouer, nous attachons une grande importance aux succès des gens de notre famille.
— C’est pour ça que les deux pilotes thyferriens viennent des deux groupes familiaux dominants ? Afin que les choses restent à égalité ?
— Je suppose.
Au pied de l’escalator, ils traversèrent une petite salle et pénétrèrent dans une galerie aux murs de pierre. Bruyante, la pièce était éclairée par des lumières mobiles. Des douzaines de voix, humaines ou non, composaient une cacophonie incroyable. L’air humide et lourd sentait la sueur et la fumée, sans parler des effluves d’alcools venant des quatre coins de la galaxie.
Corran s’arrêta à l’entrée du café que les Rebelles avaient baptisé Bon Repos.
Si j’étais toujours à la CorSec, j’appellerais des renforts avant de mettre le pied dans ce genre d’endroit.
Erisi le prit par la main et l’attira dans la pièce. Un holoprojecteur installé dans un coin retransmettait un événement sportif. Les exosquelettes rembourrés et la balle hérissée de pointes étaient totalement inconnus de Corran.
Le reste de l’Escadron Rogue se trouvait un peu plus loin. Corran remarqua d’abord Gavin, à cause de sa taille et de sa nervosité. Le jeune homme regardait les non humains comme s’il n’en avait jamais vu. Corran s’en étonna. Venant de Tatooine, où se trouvait Mos Eisley, Gavin aurait dû avoir rencontré quantité d’étrangers.
Bror Jace et Nawara étaient plongés dans une intense conversation. Shiel tendit à Gavin une coupe d’un liquide sucré. Lujayne sourit à Corran et frappa la table avec sa chope.
— Corran est arrivé.
À part le Bothan, qui resta impassible, les autres semblèrent contents de le voir. Jace avança et tendit la main à Corran.
— Je tenais à te dire que je n’aurais pas utilisé tes données si j’avais su la vérité. Je serai le premier à signer la lettre de protestation au général Salm.
— Quelle lettre ?
Nawara eut l’air exaspéré.
— Certains membres de l’escadron pensent indispensable une protestation officielle contre la façon dont Antilles t’a traité.
— Mais pas toi ?
Le Twi’lek secoua la tête.
— Je ne crois pas que cela serve à quelque chose. De plus, j’estime qu’il s’agit d’un incident mineur.
Corran sourit.
— Je suis content de voir que l’un d’entre nous n’a pas perdu le sens commun.
— Ce qui veut dire ? fit Bror, les sourcils froncés.
— Que nous sommes tous des volontaires, partie prenante d’une insurrection contre le gouvernement qui contrôle la plus grande partie des planètes de cette galaxie. Nous sommes prêts à faire le sacrifice suprême pour gagner la liberté de toutes les espèces pensantes. Et nous nous amuserions à protester contre la façon dont un des chefs militaires les plus honorés conduit les exercices ?
Gavin eut l’air surpris.
— Ce qu’il t’a fait n’était pas juste. C’était méchant et destiné à te nuire.
— Je suis d’accord, ce n’était pas très gentil. Mais le commandant Antilles voulait me faire comprendre quelque chose. J’ai appris ma leçon, et vous aussi. Savoir que vous étiez mal à l’aise et prêts à prendre ma défense m’indique que vous serez là quand j’aurai besoin de vous.
Ce que le commandant Antilles peut nous infliger ne peut pas être pire que ce que l’Empire a fait sur de nombreux mondes. Les Impériaux ont détruit Alderaan. Ils ont éliminé les Jedi. Et ils nous extermineraient s’ils le pouvaient. Désormais, le commandant Antilles sait qu’il peut compter sur moi. Et j’espère que vous le savez aussi.
— Je pense que Corran a raison, dit Erisi.
— Merci, dit Lujayne en se levant et en le serrant dans ses bras. De la part du plus mauvais pilote de l’exercice d’aujourd’hui ! À part toi !
Corran rougit.
— Je dois admettre qu’une bonne partie de cette sagesse m’a été inculquée de force par le commandant Antilles…
— Hurlements ? Coups ? s’enquit l’homme-loup avec un grognement.
— Non. Juste quelques mots bien sentis.
Shiel montra les dents. Gavin éclata de rire. Lujayne prit une poignée de crédits dans sa poche et les tendit à Nawara, qui les contempla d’un air ravi.
— Puis-je connaître la raison de cet échange de monnaie ? demanda Corran.
— J’ai gagné son pari, fit Nawara en glissant les pièces dans sa poche. J’avais prévu que tu serais raisonnable.
Corran rit.
— Qui avait parié pour « provoquera le commandant Antilles en duel aérien à mort ? »
— Moi, dit Erisi.
— Nawara a gagné en misant sur ce qui était dans mon cerveau. Tu as spéculé sur ce qui était dans mon cœur. (Corran désigna le bar.) En l’honneur de ta perspicacité, je vais t’offrir ce que le tien désire.
— Et si ça ne peut pas être acheté ?
— Alors, laisse-moi t’offrir un verre, et nous parlerons de la façon de satisfaire tes vœux.
— Pour la rendre heureuse, il te suffira d’augmenter les bénéfices de l’entreprise de sa famille, dit Bror Jace.
— Pour cela, il faudrait stimuler la consommation de bacta, non ? Comme nous allons nous battre contre les pilotes de l’Empire, ça ne devrait pas poser de problème !